LA CASCADE // fil de coton et pâtisson séché, 2024
" Qu'est-ce qui fait que nous nous arrêtons toujours devant une cascade ? Qu'est-ce qui nous captive au point que nous en interrompons systématiquement notre marche ? Est-ce le bruit du flot ininterrompu, qui nous raconte l'histoire des pluies saisonnières et les légendes de la forêt ?
Est-ce cette robe translucide digne des plus grands illusionnistes, cette parure indécente, d'un blanc soyeux et tumultueux, cette nudité aqueuse dont on ne peut jamais se saisir ?
Est-ce la chute libre des rivières qui se jettent la tête la première vers la terre ? Et qu'est-ce donc que cette chute ? Est-ce une tentative désespérée de trouver l'immobilité, le repos ? Est-ce le débordement naturel de toutes les émotions contenues dans une forêt, celles des arbres, des orgues basaltiques et celles des rochers couverts de mousse ?
Qu'est-ce qui nous hypnotise autant dans la danse des eaux ?
69°38’57’’ NORD, 18°57’19’’EST // Diptyque 165 x 278 cm Acrylique sur toile, 2022
En 2021, une expérience intime m’a menée à explorer la question du deuil. Je suis partie trouver des réponses en Laponie, au coeur de la nuit polaire, et à mon retour, j’ai monté une exposition appelée « Une nuit après la nuit » dont ce dytique était la pièce maîtresse.
Cette oeuvre se fraye un chemin à travers les moments qui précèdent la perte et ceux qui lui succèdent. Elle raconte l'histoire de ces nuits. On croit souvent que pour revenir à la vie, le mieux est de se concentrer sur la lumière au bout du tunnel. Pourquoi ne pas porter son attention sur le tunnel lui-même ?
Voir des soleils se lever sur mon deuil me paraissait lourd d’extravagance. J’avais besoin d’observer des lumières timides briller dans l’insondable. J’avais besoin de comprendre ce qu’on pouvait bien faire de toute ce noir, de toute cette épaisse masse d’obscurité.
Peut-on encore se perdre à 300 kilomètres au-dessus du Cercle Arctique ? Peut-on encore se brûler au milieu de toute cette neige ? De quel désert blanc, de quelles eaux tranquille et froides sont faites les images qu’on invente ? Vous savez comme sont les mirages : semblables à ce que l’on reconnaitrait entre mille et que mille fois, on confond.
La lumière se nourrit du manque de lumière. Il faut parfois s’éteindre. Il faut parfois se faire une place sous le duvet des hivers séculaires.
J’avais besoin de voir s’ouvrir devant moi des voies maritimes dans l’atlantique nord. Regarder le gris du ciel et celui de l’eau plonger l’un dans l’autre, voir des nuances de bleu et d’or rose naître de cette fusion. Distinguer ce que le paysage me laisse apprécier selon son bon vouloir dans ce palais crépusculaire que l’on croyait, à première vue, sordide. Deviner le reste. Ce qu’il reste quand on croyait soi-même disparaître au monde.
Rencontrer la nuit silencieuse, difficile. Impossible de beauté. Comprendre qu’il existe pour chacun, chacune, partout, où que ce soit, une nuit après la nuit.
Peinture sur pâtisson, 2023
" J’ai mangé ces pâtissons avant de le sécher pour les peindre : ce geste symbolise pour moi un rite de passage vers une alimentation plus consciente et plus créative. C’est aussi une manière de dissoudre la frontière physique entre l’oeuvre et l’artiste. "
5 WILD // acrylique sur toile, 2021
La nature, tantôt dispersée, foisonnante, tantôt paisible, silencieuse, regorge d'incohérences parce qu'elle n'est jamais autre chose qu'elle-même, à l'état brut, à l'état de nature. Elle possède cette naïve impulsivité dont sont dotés les enfants, jumelée à une étrange lucidité. Pourquoi ? Parce que son essence cyclique ne lui laisse pas le loisir de s'épancher sur ce qui, en elle, se dissipe. Quel besoin aurait-elle de le retenir, de l'éduquer ? Peu importe ce qu'elle perd, elle sait qu'elle renaîtra.
CHABLIS // crayon de couleurs et fil de coton, 2024
Lorsqu'un arbre tombe avec ses racines, laissant un trou dans la terre, on appelle ça un chablis.
La lumière du soleil peut alors se frayer un chemin dans la canopée, toucher le sol minéral exposé, et permettre ainsi aux graines de pousser, à la matière organique de se recycler, à la forêt de se régénérer.
Je trouve ça fou, cette manie qu'à la vie de se faufiler partout, même sous les racines de la mort, pour se propager indéfiniment.
Si l'espoir devait ressembler à quelque chose, je pense qu'il ressemblerait à un chablis.