Je peins pour qu’on se souvienne. Pour qu’on voit. Je peins pour questionner :
Qu’est-ce qui se transforme dans nos manières d’être au monde lorsque la contemplation devient le gouvernail de notre rythme de vie ?
En quoi notre réponse à la crise climatique serait-elle différente si nous réapprenions cet effort d’observation, de présence, d’émerveillement, vis à vis de notre environnement ?
Je suis Sara, artiste muraliste, amoureuse des paysages et de la poésie sauvage, engagée pour la préservation de la contemplation et de la symbolique picturale.
Entre 2016 et 2020, j’entreprends une série de voyages pour aller à la rencontre des déserts du monde. Des toundras canadiennes au Red Center australien en passant par le Sahara, le désert de Uyuni et celui d’Atacama, c’est dans ces espaces que je commence à entrevoir le sujet phare de ma reflexion artistique : l’expérience contemplative.
Entre 2020 et 2023 j’ouvre un espace culturel à Bordeaux, le Lab Room, galerie d’art / salle de spectacle qui voit passer entre ses murs, plus d’une centaine d’artistes, toutes disciplines confondues. En parallèle j’enseigne l’illustration et le design graphique à l’Institut Supérieur des Arts Appliqués de Bordeaux et je lance ma carrière d’artiste muraliste.
Quand le Lab Room ferme ses portes, l'été 2023, j'ai du temps devant moi. Je passe une grande partie de ce temps à regarder le ciel du haut de mon observatoire urbain, et ce que j'y vois me sidère. J'y vois un ciel désespérément gris. Pas un simple gris maussade. Pas un gris en escale, non, un gris bien installé, un gris abyssal, un gris comme un messager venu annoncer la fin de quelque chose, la fin d'une lutte et le début d'une autre.
Je laisse cette grisaille me traverser, je plonge dedans, dans ses eaux et dans ses vents, froids, houleux, inconfortables. Le grand saut.
Je me suis toujours figurée, du haut de ma naïveté et de mon ignorance, que certaines choses étaient acquises, qu'elles étaient indiscutables, immuables, comme le fait que le printemps succède à l'hiver et l'été au printemps ou encore que les rivières sont bleues et non pas orange.
Cette année particulièrement instable me fait comprendre que ce que je croyais être des points de repères n'en sont pas. Je comprends que tout peut nous être retiré à tout moment car rien ne nous appartient. Ce constat me donne envie d'aller au-delà de la contemplation brute, pour interroger les mutations de paysages et raconter.
Raconter les ciels gris, le soleil dont la caresse est devenu une perle rare sur ma peau, une brûlure pour d'autres. Raconter les saisons dont on parlera comme des souvenirs plus tôt qu'on ne le croit. Raconter les fleurs sauvages qui n'ont peur de rien. La lumière, l'eau, les déserts. Ce qui existe en dehors de tout ce qu'on peut en attendre, en dehors de toutes les interprétations qu'on peut en faire. Raconter le miracle des cours d'eau. Raconter tout ce qui calcine et déborde, disparaît et agonise, bruisse et se répand. Tout ce qui se renverse, oscille et s'inverse.
Raconter la poésie sauvage de mon environnement immédiat. Puiser ma trame créative dans ce qu'il y a de vrai, de primordial, imprévisible et incompréhensible dans la nature.
Aujourd’hui mes coups de pinceaux, malgré leur naïveté apparente et leur poésie préservée, savent exactement où ils vont : ils sont des poings levés, des pupilles ouvertes sur l’effondrement de nos sphères écologiques. J’ai la conviction qu’en faisant pousser des biomes en milieu urbain, je peux contribuer à éveiller la curiosité vis à vis des écosystèmes et notre manière de les habiter, d’intéragir avec.
Je peins pour qu’on se souvienne. Pour qu’on voit. Je peins pour questionner :
Qu’est ce qui se transforme dans nos manières d’être au monde lorsque la contemplation devient le gouvernail de notre rythme de vie ?
En quoi notre réponse à la crise climatique serait-elle différente si nous réapprenions cet effort d’observation, de présence, d’émerveillement, vis à vis de notre environnement ?
Ma peinture est une danse, à travers laquelle je peux incarner mon chagrin face à tout ce qui est perdu, ignoré, effacé, et mon espoir, face à tout ce qui, inlassablement, existe, subsiste, grandit, foisonne, fleurit, se transforme, s’aguerrit.
La contemplation et la poésie sont mes grilles de lecture sur le monde. Elles sont comme des jungles : luxuriantes et profondément chaotiques. Elles abritent des fauves qui sont à la fois de nobles totems et de terribles prédateurs.
Que serait mon art sans ses lianes, ses herbes folles, ses racines noueuses, ses plantes grimpantes, ses panthères, ses fleurs sanguines ?
L’expérience de la contemplation me maintient dans une lucidité paisible, une force tranquille à travers laquelle je sais exactement ce que je dois faire ou ne pas faire et quand, et comment.
Je dis créer de l'art pour le donner mais je mens : je crée par peur qu'on me dérobe quelque chose, et mes univers symboliques sont des remparts érigés aux portes de ma perception. Dans cet espace protégé, je communique avec des voix silencieuses, celles qui bruissent dans les branchages des forêts ou celles qui guident mon écriture picturale et m'invitent à trouver de quoi y glisser leur message, leur empreinte.
Il m'est difficile voire impossible de sortir en douceur de mon imagerie intérieure pour me mêler à ce qui existe en dehors, de passer de moi à l'autre sans fracas.
Quand je sors de mon état de muse ou de poète, j'ai peur du bruit, j'ai peur de la colère qu'on retient et celle dont on est le réceptacle, j'ai peur de voir le monde partir en fumée.
J'ai peur de tout.
Alors je vole en éclat, je dévore tout ce que je touche, je deviens le volcan dont personne ne connait l'origine de son feu, je deviens le lion qui rugit dans le vide.
Un jour nous avons été mis au monde. Comment fait-on pour le rester ?
Est-ce cela, l'art ? Essayer démesurément et par toutes les formes possibles de rester au monde ?